Un colis intercepté sur le fleuve Niger a mis au jour un trafic insolite mais préoccupant : des treillis militaires béninois, flambant neufs, vendus clandestinement à l’étranger. Derrière ce commerce parallèle, huit militaires béninois, aujourd’hui jugés devant la CRIET. Plongée dans les coulisses d’un système qui mêle besoins non satisfaits, tolérance hiérarchique et dérives internes.
Une alerte venue du fleuve
Tout commence le 19 mai 2025, sur les eaux tranquilles du fleuve Niger. Un colis suspect est intercepté lors d’un contrôle de routine. À l’intérieur : vingt tenues militaires neuves, soigneusement pliées. Destination présumée : un gendarme nigérien.
La découverte alerte aussitôt les autorités. Très vite, les pistes convergent vers une origine nationale : les treillis proviennent de stocks béninois. Le dossier atterrit sur le bureau de la Cour de répression des infractions économiques et du terrorisme (CRIET). Une enquête est ouverte, les auditions s’enchaînent… et un réseau se dessine.
Des uniformes… vendus à l’ami
Premier à la barre : un sergent, qui reconnaît avoir servi d’intermédiaire. Selon lui, tout serait parti d’un simple constat : les tenues fournies par l’État sont souvent « de mauvaise qualité » et en nombre insuffisant. Résultat : les militaires se débrouillent. Le bouche-à-oreille, les forums de discussions internes, les petits arrangements entre collègues… autant de canaux utilisés pour acheter ou revendre des treillis, parfois neufs, parfois d’occasion.
Le sergent ne nie pas avoir facilité certaines transactions. Il affirme même que la hiérarchie « sait, officieusement », mais laisse faire.
Un business structuré
Le dossier prend une autre tournure quand un caporal confie avoir acquis une tenue pour son frère, gendarme au Niger. Il cite des noms : Yves, Dovoedo, tous deux identifiés comme vendeurs actifs. La tenue lui a été cédée à 8.000 FCFA, un prix dérisoire au regard des circuits officiels.
Autre profil, autre méthode : le sergent Boco dit, lui, avoir ses propres fournisseurs… au sein des magasins militaires. Selon ses dires, certains magasiniers ferment les yeux ou les ouvrent pour une commission. Il vend les tenues avec leur accord et empoche une part sur chaque pièce écoulée.
Un receleur bien identifié
Le maillon central du réseau serait un militaire du nom de Tairou, qualifié de principal receleur. Il ne tente pas de se dédouaner : il reconnaît avoir reçu plusieurs lots de tenues qu’il a ensuite revendues à un gendarme nigérien. Une opération qu’il aurait répétée plusieurs fois, sans en mesurer l’ampleur judiciaire.
Enfin, un ancien agent de la Société des Transports du Mono (STM) est aussi cité. Il reconnaît avoir expédié des colis pour les militaires, mais jure n’avoir jamais su qu’ils contenaient des effets militaires. Simple transporteur, ou complice involontaire ?
Une faille dans la chaîne militaire ?
Derrière ce commerce parallèle se cache une réalité plus vaste : la logistique militaire béninoise est-elle en crise silencieuse ? Les témoignages convergent : le manque d’uniformes, la lenteur des dotations, voire leur mauvaise qualité, poussent certains soldats à chercher des alternatives illégales, certes, mais « nécessaires » à leurs yeux.
Mais l’affaire va au-delà d’un simple système de débrouille. Les faits rappellent que les effets militaires sont des symboles d’autorité, et leur circulation incontrôlée une menace potentielle pour la sécurité nationale.
La justice prend le relais
L’enquête judiciaire se poursuit. Les huit militaires ont été entendus ce jeudi devant la CRIET. Le procès a été renvoyé au 31 juillet 2025, pour approfondir les responsabilités de chacun.
L’armée, elle, reste discrète. Aucune communication officielle n’a été faite à ce jour. Mais en interne, l’affaire fait tâche. Car au-delà des hommes, c’est tout un système parallèle de distribution d’uniformes qui vient d’être mis à nu.
M.H.